Bela Goosy est un musicien français qui pratique en solo une Electro-Darkwave minimaliste aux sonorités qui fleurent bon l'esprit des années 80, tout en officiant parallèlement en tant que chanteur au sein d'une autre formation.
Rencontre avec l'artiste, en exclusivité pour Requiem.
Propos recueillis par Hans Cany
10 janvier 2018
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Hans/Requiem : Bonjour. Peux-tu te
présenter un peu, pour les lecteurs qui n'ont encore jamais entendu parler de
toi ?
Bela Goosy : C’est en 1985, alors que j’écoutais du Punk et de la New Wave, qu’un ami italien m’a parlé du style « dark » (je garde son appellation). Il m’a fait découvrir les Virgin Prunes, et cela a été un choc, une révélation, avec le sentiment qu’il y aurait un avant et un après, que cela était en train de changer ma vie… sans exagérer !
J’ai commencé à faire de la
musique vers 1990… par hasard ! Des potes qui avaient un groupe m’ont
demandé de leur écrire un texte. Quand je le leur ai présenté, ils m’ont dit
« voilà, tu l’as écrit, maintenant il faut que tu le chantes ». Un
peu plus tard, comme je trouvais que la musique qu’on faisait en groupe était
trop « gentille », je me suis essayé au solo. J’ai commencé par un
travail à base de samples analogiques, réalisés sur un Revox 4 pistes. Le
résultat était très indus, expérimental. Et comme je me suis éclaté, j’ai
continué à bosser seul, tout en participant à d’autres groupes. J’ai fait du Punk Hardcore avec des thrashers, et surtout beaucoup de Neofolk, un style que
j’apprécie particulièrement.
Travailles-tu sur ordinateur, ou bien as-tu plutôt recours à une instrumentation classique, de type clavier, boîte à rythmes... ?
Je possède un home studio, certes fait de bric et de broc, mais j’adore la débrouille, le « do it yourself » et l’économie de moyens. C’est très important pour moi. J’enregistre sur Logic Pro, qui offre quand même énormément de possibilités. Logic Pro propose une variété quasi infinie de sons MIDI, des « sons d’usines », comme je les appelle, que j’évite d’utiliser. Je leur préfère les synthés analogiques. Le son du hardware a bien plus de présence et de chaleur que le son MIDI. Je m’efforce de chercher sur ces synthés des sons « maison », je fais toujours mes propres réglages. Je suis particulièrement fan de la marque de synthé Arturia, une marque française qui plus est, et j’utilise principalement le Minibrute, un petit bijou franchement pas cher avec lequel je fais la plupart de mes sons rythmiques. J’utilise aussi le King Korg pour produire des sons étranges et psychédéliques. Je ne travaille pas avec une boîte à rythmes en bonne et due forme mais avec des beats que je programme sur le logiciel Logic Pro. En fait, je colle les sons des beats l’un après l’autre de façon manuelle. En vrai amateur de Cold Wave, je démarre en général mes compositions par la basse.
Quelles sont tes références musicales, du point de vue de tes goût personnels ?
J’ai toujours été ultra-sensible à la musique, même tout gosse. A 6 ans, j’étais fan des Beatles… Mes parents étaient genre baba cools. Il y avait chez eux une belle collection de vinyles et comme j’étais curieux, je me suis vite mis à farfouiller dedans. Parmi les disques de pop et de rock progressif que je trouvais ennuyeux, j’ai découvert quelques pépites : Ziggy Stardust de Bowie, les deux premiers albums de Roxy Music, Lou Reed ou encore les Talking Heads (c’était vers 1980). Je me suis dit « waow, enfin du rock sans un mec qui masturbe sa guitare en d’interminables solos, enfin du rock direct, émotionnel, vrai, et qui parle d’autres choses que de champignons hallucinogènes qui poussent sur la Lune ! » Pour moi, Bowie ou le Roxy du début, c’est la vraie New Wave. Et je suis tombé dedans quand j’étais petit, spontanément, sans l’influence d’un grand frère que je n’ai jamais eu. A l’époque, il y avait aussi l’émission radio de Bernard Lenoir qui a fait passer des nuits blanches à pas mal de mômes comme moi. Ensuite je suis passé au Punk Rock et au Punk Hardcore, avant la découverte de ces génies absolus que sont les Virgin Prunes, dont j’ai déjà parlé. Certains amis punks se sont détournés de moi, me traitant de « sale batcave », mais je m’en foutais. Au contraire, j’ai commencé à me vêtir en noir, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Dans les 80s, quand t’étais dans le Goth, tu passais vite à la musique industrielle et post-industrielle. Je n’ai pas échappé à la règle. La première écoute d’Einstürzende Neubauten, c’est une baffe magistrale dans la gueule ! Une baffe qui fait du bien ! J’ai vite été fan également de la scène londonienne : Coil, Current 93, Nurse With Wound… Puis Death In June et C93 ont tenté l’utilisation d’instruments acoustiques et ce furent les débuts de la Neofolk, qu’on appelait « Apocalyptic Dark Folk ». Aujourd’hui encore, C93, les Virgin Prunes et Coil sont mes groupes préférés. Ces derniers (RIP) particulièrement : ils ont un parcours sans faute, une discographie sans faille, et ils ont toujours su aller de l’avant, être créatif, se renouveler. Ce qui change aussi pour moi par rapport à l’époque, c’est que j’ai cessé d’être snob. Cela me permet de redécouvrir des groupes sur lesquels je faisais l’impasse comme les Cure ou les Sisters, trop « connus », trop « commerciaux », ou les pionniers de la synthpop et de l’EBM, Kraftwerk ou Front 242, dont je qualifiais stupidement la musique de « disco ».
Parmi ces références, quelles sont celles qui exercent une influence -directe ou indirecte- sur tes propres créations ?
Je pense être marqué par l’expressionisme et la théâtralité des Virgin Prunes, mais aussi de la scène Batcave (dont ils ne font pas partie selon moi) comme Sex Gang Children. David Tibet de C93 a beaucoup compté dans ma façon de chanter, même si j’essaye de m’éloigner de cette influence. L’esprit post-punk de Joy Division et de la première vague goth (Bauhaus, Siouxsie, Xmal Deutschland…) est également gravé dans mon esprit et dans mon âme, si tant est que cela existe… Cela se ressent dans ma façon d’aborder la mélodie – faire simple – et la composition –mettre la basse en avant. Sans oublier l’influence neofolk, et son aspect martial, altier. Patrick Leagas (Death in June au début, Sixth Comm) a avoué que la Neofolk était la tentative de mauvais musiciens de faire quelque chose avec des instruments acoustiques. C’est vrai, nous sommes de mauvais musiciens, du moins sur le plan technique, et il faut l’assumer ! J’aurais bien aimé te dire que j’étais aussi influencé par d’autres genres musicaux, mais ce n’est pas vraiment le cas. J’aime beaucoup le hip hop industriel à la Death Grips, le dub complètement barré ou encore des chanteurs à textes exigeants comme Léo Ferré et je préfèrerais être perméable à leurs influences. Mais non… Dark foverer…
Et de façon générale, quelles sont tes sources d'inspiration autres que purement musicales ? Quels sont les thèmes de tes morceaux, et de quoi traitent tes paroles ?
Je suis une éponge. Je m’inspire de tout ce qu’il se passe autour de moi, tant sur un plan personnel que collectif. Hélas, nous vivons une époque où l’hystérie est de mise, où la plupart des gens ne se fatiguent plus à formuler leurs propres pensées mais reprennent les slogans et la propagande de médias aussi avides que débiles. C’est une source de colère et donc d’inspiration. La littérature a une immense importance sur moi. Elle peut m’influencer de façon directe, j’ai fait des morceaux sur Phillip K.Dick, génie de la science-fiction, ou sur « Le Moine » de Lewis, chef-d’œuvre de la littérature gothique, un roman à tiroir, complètement fou et surréaliste, qu’il faut absolument lire et relire. Cela n’a rien de nouveau : « Killing an Arab » des Cure vient de « L’Etranger » de Camus, « Atrocity Exhibition » de Joy est le titre d’une nouvelle du grand écrivain anglais JG Ballard. La culture nourrit la contre-culture. Et vice-versa ! De façon générale, l’art moderne et contemporain m’influence. J’aime la peinture, l’art vidéo, les installations… Pour autant, je déteste l’approche élitiste de la culture ! La musique et l’art contemporains ne sont pas forcément difficile d’accès, c’est même rarement le cas. Au contraire, la création contemporaine est souvent ludique, humoristique… Il y a une influence essentielle dans le mouvement neofolk qui m’intéresse beaucoup mais que je ne reprends pas : c’est le paganisme. Je ne me considère pas suffisamment initié pour me servir de runes ou d’éléments propres aux cultures celtes ou nordiques anciennes. Et puis, cela a déjà été tellement fait ! Je dois avoir mis en ligne autour de 400 chansons –je sais, c’est beaucoup trop ! – et j’ai une manière particulière d’écrire mes textes, à la limite de l’écriture automatique. Il faut que les mots fusent, et je ne me censure jamais. Pour moi, tous les sujets peuvent être intéressants. Il m’est arrivé un matin d’écrire un morceau sur la gueule de bois atroce qui m’irradiait le cerveau… J’essaye cependant de choisir un thème par album, et d’articuler les titres de l’album autour de ce thème.
A ce jour, seuls des fichiers digitaux et des vidéos de tes créations sont disponibles en ligne. Envisages-tu de passer un jour au stade du support physique, qu'il s'agisse de CD, de vinyl ou de DVD ? Si oui, es-tu ouvert aux éventuelles offres de service d'un label, ou bien préfères-tu t'en tenir à l'autoproduction ?
Je suis ouvert à toutes les propositions… A partir du moment où l’on sort de l’ornière du « pay for play » ! Car certains labels n’hésitent pas à te demander de financer toi-même ton disque. Certes l’économie de la musique est en crise depuis longtemps et la plupart des musiciens vivent grâce à la scène et non grâce aux disques. En fait, sortir un disque sans faire de concerts ne rime pas à grand-chose. C’est un tout. Par conséquent, je suis aussi ouvert aux propositions de concerts !
Tu as fait partie d'un groupe baptisé LES BELLES NOÏSEUSES, et tu avais été interviewé à ce sujet voici quelques années dans le défunt magazine Elegy. Dans quel style musical oeuvriez-vous ? Et ce groupe a-t-il définitivement cessé toute activité, ou pas ?
Les Belles nOÏseuses ont démarré en 1992 avec l’idée de faire de l’anti-pop. Après un début électrique, ultra-saturé, nous sommes passés à une ossature guitare folk/contrebasse. Nous avons qualifié notre style de « dark psych folk ». En 2011, le label français Rotorelief a sorti un premier album 33t, « Whiter than White » et un second, « A 1001 Splashes », que je préfère largement, en CD promo. Depuis, nos chemins ont bifurqué. Nous n’avions pas forcément les mêmes attentes ni exactement le même univers musical. C’est dommage car Rotorelief, qui est plutôt spécialisé dans l’industrielle expérimentale, avait réalisé une belle production autour de nous. Précisons cependant que ce groupe n’est pas mort ; il manque juste un ou deux musiciens qui soient sur la même longueur d’onde que moi et qui n’essayent pas de me faire évoluer vers une pop insipide. Les Belles nOÏseuses, c’est mon groupe et j’en resterai le leader. Tiens, j’en profite pour une petite annonce : si vous avez envie de faire de la Neofolk pure et dure, sans compromission, n’hésitez pas à me contacter. J’ai l’intuition que ce groupe reprendra du service un jour. Et mon intuition ne me trompe jamais.
Tu t'impliques aussi dans un autre projet répondant au doux nom de THE BLUEBEARD'S CASTLE ("Le château de Barbe-Bleue")...
Peux-tu nous en dire quelques mots ?
The Bluebeard’s Castle, j’adore ! C’est un projet démarré il y a 1 an avec un pote, Yannick, musicien surdoué, qui compose et joue tous les instruments. Moi je me contente de chanter. Quel plaisir de faire de la musique avec des guitares et des basses, et non juste à base de synthés. Nous nous plaçons sous la bannière la plus old school qui soit : Post-Punk, Goth, Cold Wave… En définitive, si la musique que tu joues ne te correspond pas à 100%, tu perds ton temps. Là, on ne perd pas notre temps !
Envisages-tu de te produire sur scène, que ce soit dans le cadre de ton projet solo, dans celui de BLUEBEARD'S CASTLE, ou autre... ?
Avec The Bluebeard’s Castle, ce sera techniquement compliqué. Par contre, en solo, avec plaisir, comme je l’ai déjà dit ! Je sais qu’être seul sur scène, c’est casse-gueule. Pas grave… Il faut juste me prévenir 1 mois à l’avance, que je puisse avoir le temps faire une set list et de me préparer. Car autant je ne me prends pas au sérieux, autant j’estime qu’il faut aborder son travail musical sérieusement.
Quel est le niveau de
développement de la scène musicale et des milieux contre-culturels sombres dans
la région que tu habites, qu'il s'agisse de l'EBM/Electro, de l'Indus, du Goth,
de la Cold Wave, du Néo Folk, de la New Wave etc ? Y a-t-il un certain public
pour ces musiques, par chez toi ?
Y-a-t-il des soirées "gothiques", des concerts, des émissions de radio, des activistes du web, des fanzines ? Voire même peut-être aussi d'autres musiciens locaux ?...
Y-a-t-il des soirées "gothiques", des concerts, des émissions de radio, des activistes du web, des fanzines ? Voire même peut-être aussi d'autres musiciens locaux ?...
Proximité avec l’Allemagne oblige, la scène dark était très active dans les 80s. Il y avait même une radio FM qui ne passait que ce genre de musique 24h sur 24. Et beaucoup de soirées, pleins d’excellents concerts… Aujourd’hui, tout ça, c’est du passé. Les bobos, lecteurs de l’infâme magazine Les Inrockuptibles, ont pris le pouvoir. Ceux qui me demandent avec mépris « t’as déjà songé à quitter le côté obscur ? » Un peu comme partout je suppose… Cependant, il y a régulièrement des concerts intéressants et de temps en temps des soirées sympas. Et je ne suis pas nostalgique, je pense qu’il ne faut pas regretter le passé. Je dois aussi avouer que je suis un vieil ours mal léché, un peu asocial, et que j’ai eu longtemps du mal à sortir de ma grotte. Aujourd’hui ça va mieux car je suis mieux dans ma peau.
Quel est ton regard sur
ce qui se fait en ce moment ? Y a-t-il des artistes actuels ou des disques
sortis récemment que tu recommanderais en particulier ?
Il y a depuis plusieurs années un regain d’intérêt pour la scène dark. Il faut s’en réjouir ! En sourire parfois, quand quelqu’un de 15 ans de moins que toi qui vient de voir le film « Control » essaye de t’apprendre tout sur Joy Division. Bien sûr, cette nouvelle mode dark se manifeste aussi par des groupes un peu variétés, comme La Femme. Ca, c’est de la dark pour les Inrocks (qu’ils crèvent) !!! Plus sérieusement, il y a toujours eu des groupes fabuleux pour reprendre le flambeau après la fin des 80s : The Moon Lay Hidden Beneath A Cloud dès les années 90, puis Haus Arafna. En ce moment (en fait depuis pas mal d’années), j’ai un gros faible pour le renouveau de la Cold Wave, en particulier pour Lebanon Hanover. J’aime beaucoup également les turcs de She Past Away. Et je vais m’arrêter là avec le name droping, car en fait il y a des centaines d’excellents groupes dark actuels qui viennent de partout dans le monde.
Merci d'avoir répondu à
ces quelques questions. Quelque chose à annoncer ou à ajouter, pour conclure ?
Euh… J’adore marier des voix féminines à la mienne, donc si une chanteuse est intéressée pour une collaboration, elle serait bienvenue… Ce n’est pas un plan rencontre, c’est juste artistique. Sinon, j’ai envie de sortir les violons et de souligner que les musiques dark sont des musiques de résistance face au rouleau compresseur d’un système économique complètement pervers et d’un système politique vérolé jusqu’à la moelle. Une résistance face au lavage de cerveau des médias mainstream. Bref, ce n’est pas que du rock…
Chaîne Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCqoWXxDiI7HX_6Cm1VYhOJA
Bandcamp BELA GOOSY : https://belagoosy.bandcamp.com
Soundcloud THE BLUEBEARD'S CASTLE : https://soundcloud.com/bluebeardscastles
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BELA GOOSY :
Bandcamp BELA GOOSY : https://belagoosy.bandcamp.com
Soundcloud THE BLUEBEARD'S CASTLE : https://soundcloud.com/bluebeardscastles
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THE BLUEBEARD'S CASTLE (Vocals : Bela Goosy) :
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